Vous êtes pas écœurés de mourir, bande de caves? Je me suis levé ce matin en ayant en tête cette phrase de l'écorché poète Claude Péloquin.
Nous pouvons affirmer, sans l'ombre d'un doute, qu'il y a beaucoup de grogne actuellement au Québec. Ce ne sont pas les sujets qui manquent pour alimenter le courroux de la population: état de nos services publics, environnement, changements climatiques, immigration, fluctuations économiques, étiolement du filet social... etc.
Notre grogne collective ne serait-elle pas symptomatique de notre sentiment d'impuissance? Sommes-nous entendus? Sommes-nous écoutés? Avons-nous une voix? Ces questionnements, fort légitimes, ne sont-ils pas, en quelque sorte, une critique de l'état de notre démocratie? Est-ce une réinterprétation du "no futur" scandé par le mouvement punk des années 70?
J'entends plusieurs personnes affirmer que la démocratie se résume, sommairement, à appliquer un crochet sur un bulletin de vote tous les 4 ans. Nous devons, par la suite, vivre avec les conséquences de nos choix. Est-ce bien cela, la démocratie? Un crochet sur un bulletin de vote tous les 4 ans? N'est-ce pas là l'expression d'une forme d'impuissance, de résignation? N'est-ce pas là une certaine explication au taux faméliques de participation lors des élections fédérales, provinciales et municipales?
Nous pouvons considérer, sans nous tromper, que nos modes de scrutins électoraux, tant au Québec qu'au Canada, sont tout à fait désuets. Au Québec, le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour fut promulgué par l'Acte constitutionnel de 1791... Lorsque questionné, en 2022, sur l'abandon de sa promesse électorale de changer le mode de scrutin au Québec, le Premier ministre Legault a affirmé, sans sourciller: "Ça n'intéresse pas la population, à part quelques intellectuels!" Pourtant, lors de la campagne électorale de 2018, le changement du mode de scrutin électoral était une promesse phare de la Coalition Avenir Québec.
De nombreuses études en sciences sociales nous apprennent que le sentiment d'impuissance, chez les individus, peut induire chez ces personnes certaines manifestations inadaptées ou négatives. Nous sommes confrontés, sur une base quotidienne, à ces manifestations: anxiété, état dépressif, apathie, colère, violence, intolérance... etc. Nous avons, à des niveaux variables, besoin de ressentir que nous avons du contrôle sur notre vie et notre environnement. La perte de contrôle et l'impuissance provoquent une souffrance. Tout au long de notre vie, nous ressentons le besoin d'être écouté, d'être entendu, d'être considéré, d'être représenté. Lorsque ce n'est pas le cas, nous souffrons.
Je considère que nous vivons actuellement et collectivement, ce que j'appellerais un sale temps pour la démocratie. Nous sommes, au Québec, confronté à un gouvernement de la CAQ jouissant d'une très forte majorité à l'Assemblée nationale. Une trop forte majorité. Ce gouvernement, qui a dirigé le Québec par décrets pendant une bonne partie de son premier mandat, pour cause de pandémie, semble avoir pris goût à une certaine forme d'autoritarisme. Ayant peu d'opposition, il se permet de diriger la province comme bon lui semble, sans véritable égard aux besoins et à la volonté de ses commettants. Il polarise le débat: "Vous êtes avec nous, ou contre nous!" Lorsque les journalistes, ces représentants du fameux quatrième pouvoir, accomplissent leur travail et questionnent les décisions de ce gouvernement, ils sont rapidement considérés comme étant des "militants journalistes". Le superministre Pierre Fitzgibbon a utilisé ce terme, à quelques reprises, pour discréditer certains journalistes. C'est une conduite dangereuse et c'est aussi une sérieuse atteinte aux principes régissant notre démocratie.
Je crois sincèrement que nous devrons modifier notre mode de scrutin électoral. Nous ne devons plus, quel que soit le parti politique, accorder une trop forte majorité à ce dernier à l'Assemblée nationale. Ceci est primordial pour l'état de notre démocratie et pour contrer le sentiment d'impuissance qui semble habiter une partie appréciable de la population québécoise et qui contribue, d'une certaine manière, à le faire mourir à petit feu.
C'est peut-être cela que voulait dire le poète Péloquin...
Steeve Duguay
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